Yves Denéchère est professeur d’histoire contemporaine à l’Université d’Angers – UMR TEMOS

 

L’émotion suscitée par la vulnérabilité de l’enfance exposée aux drames du XXe siècle (guerres, pauvreté, famines, sous-développement, catastrophes naturelles, etc.), a généré des campagnes d’opinion, voire des « croisades » militantes pour protéger l’enfant des vicissitudes des temps. C’est dans ce contexte que s’est développée dans les années 1960 l’adoption transnationale de mineurs, d’abord en tant que forme d’action humanitaire répondant à l’injonction morale de « sauver les enfants ». Puis progressivement l’adoption internationale a été présentée comme une mesure de protection de l’enfance pour des mineurs privés de famille dans leur pays de naissance. Créer un lien de filiation juridique entre un adulte et un enfant d’une autre nationalité implique bien évidemment des relations transnationales entre les personnes concernées (familles de naissance, enfants, familles adoptantes), entre de nombreux intermédiaires (associations ou ONG, humanitaires, congrégations religieuses, etc.), et entre les États impliqués, via leurs ambassades, consulats, tribunaux, etc. La Convention du 29 mai 1993 sur la protection des enfants et la coopération en matière d’adoption internationale constitue le premier texte de régulation du phénomène, en s’appuyant sur la Convention internationale des droits de l’enfant de 1989. Au maximum du flux, en 2005, plus de 4 000 enfants nés à l’étranger arrivèrent en France pour y être adopter. Après un déclin rapide et régulier, le nombre d’adoptions internationales est passé à 232 en 2022, il sera encore inférieur en 2023.
Face à une migration imposée par des adultes, à un changement de pays, de culture, d’horizons, à la transplantation (la métaphore végétale est très souvent filée pour évoquer l’adoption internationale : déracinement, arrachement, greffe, etc.), les enfants adoptés à l’étranger ont-ils véritablement été considérés comme des sujets de droit capables d’agir ?
Les textes de 1989 et de 1993 reconnaissent aux enfants des droits qui résonnent spécifiquement chez les enfants adoptés à l’international, par exemple, l’article 7 de la CIDE qui stipule « L’enfant est enregistré aussitôt sa naissance et a dès celle-ci le droit à un nom, le droit d’acquérir une nationalité et, dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents et d’être élevé par eux ». Et l’article 20 de la CIDE impose que toute adoption doit se faire dans l’intérêt supérieur de l’enfant. Quant à elle, la Convention de 1993, dans on article 2 affirme le principe de subsidiarité : « reconnaissent que l’adoption à l’étranger peut être envisagée comme un autre moyen d’assurer les soins nécessaires à l’enfant, si celui-ci ne peut, dans son pays d’origine, être placé dans une famille nourricière ou adoptive ou être convenablement élevé ». Mais au-delà de ces droits de protection de l’enfant adopté, sont également énoncés d’autres droits dits capacitaires ou d’émancipation censés permettre aux enfants adoptés à l’international de développer une véritable agentivité ou un pouvoir d’agir, c’est-à-dire – au-delà de leur expression (parole) – leur capacité à être des agents actifs de leur propre vie, à exercer un contrôle et une régulation de leurs actes.
Des études historiques et sociologiques récentes ont montré que bien souvent, ces droits des enfants n’ont sont pas toujours été respectés dans les adoptions internationales. Que fait-on de l’article 7 de la CIDE sur le « droit de connaître ses parents » lorsqu’un enfant ou adolescent adopté (s’)interroge sur ses parents de naissance, sa famille biologique ? L’article 4 de la convention de 1993 stipule que les Etats parties doivent s’assurer « que les souhaits et avis de l’enfant ont été pris en considération ». Ceux-ci sont-ils systématiquement recueillis et pris en compte ?
Les voix des enfants adoptés ont été largement instrumentalisées par les différents acteurs de l’adoption internationale (adoptants, intermédiaires, Etats) agissant en leur nom. Après avoir longtemps été confinée, étouffée et crainte, à partir des années 1960, des experts de l’enfance ont prêté davantage l’oreille à l’expression des enfants, leur parole, leurs dessins, notamment en contexte traumatique. Ce n’est qu’à partir des années 2000, quand les nombreux enfants adoptés des années 1970 et 1980 sont devenus adultes qu’ils ont enfin pu s’exprimer eux-mêmes. Cette parole différée de l’enfance qui a pris différentes formes d’expression (témoignages, livres, arts, etc.) porte les questionnements, les ressentis, les revendications aussi, des personnes adoptées d’aujourd’hui, enfants adoptés d’hier. Cette parole, doublée d’un pouvoir d’ agir recouvré, interroge, notamment dans une actualité forte, les pratiques illicites de l’adoption internationale, leurs origines, leur identité. Diverses associations de personnes adoptées revendiquent aujourd’hui de pouvoir, en tant que personnes concernées, avoir une prise sur la production institutionnelle de l’enfance qui vise à sa protection. En effet, le système juridique français a permis que l’enfant adopté ne soit pas uniquement considéré comme un sujet de protection mais bien comme un acteur de sa propre protection grâce à une prise en compte de sa parole, dans son intérêt.

 

Fonctions professionnelles actuelles et passées

  • Directeur du Pôle ligérien d’études sur l’enfance et la jeunesse (Universités d’Angers, Le Mans, Nantes) https://enfance-jeunesse.fr/
  • Titulaire de la chaire « Parole et pouvoir d’agir des enfants et des jeunes »
  • Intervenant dans le DU « Droits des enfants et pratiques professionnelles » – Université d’Angers
  • Membre du conseil scientifique de l’Observatoire national de la protection de l’enfance
  • Membre du Conseil national de l’adoption
  • Superviseur de deux projets européens H2020 MSCA individual fellowship Marie Curie sur l’enfance : Luciana Jinga (2017-2019) et Susanne Commend (2021-2023)
  • Coordinateur scientifique du projet ANR « EN-MIG – Enfants en décolonisation : migrations contraintes et construction individuelle (France – 1945-1980) », 2021-2024
  • Thématiques de recherche : histoire de l’enfance, adoption nationale et internationale, enfance et humanitaire, parrainages, migrations d’enfants, droits des enfants, pouvoir d’agir des enfants


Bibliographie

  • 2023, Etude historique sur les pratiques illicites dans l’adoption internationale en France (avec Fabio Macedo), publiée en open access sur HAL le 6 février 2023, https://univ-angers.hal.science/hal-03972497v1
  • 2020, La parole de l’enfant au bénéfice de ses droits (direction Y. Denéchère), Presses universitaires de Liège, collection Mondes de l’enfance, 2020.
  • 2020, « L’adoption internationale. Un facteur d’évolution de la morphologie familiale (1945-1985) », French Politics Culture and Society (The Institute of French Studies at New York University), Vol.38, Issue 3, Winter 2020, p.16-39. doi:10.3167/fpcs.2020.380302
  • 2015, Droits des enfants au XXe siècle. Pour une histoire transnationale (co-direction avec David Niget), PUR, 2015.
  • 2011, Des enfants venus de loin. Histoire de l’adoption internationale en France, Paris, Armand Colin, 2011.Yves Denéchère

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